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Véronique DUBOS

Août 2000, Mise en ligne 01 novembre 2004

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Strabisme du chat colourpoint

[Oriental brown blotched tabby, Thurah Brillouin Butterfly]

De beaux yeux bleus, oui mais... il louche !

Les chats à patron colourpoint présentent parfois une particularité fort déplaisante : un strabisme convergent (les deux yeux regardent obstinément le bout du nez). Cette anomalie ne concerne pas l'œil en soi. Elle correspond à des malformations des voies nerveuses optiques.

 

Strabisme : des anomalies des voies optiques

Les voies optiques chez le chat "normal"

Le processus de construction d'une image au niveau du cerveau est complexe. La lumière arrive sur la rétine droite (par exemple). Le message passe par le nerf optique droit. A l'entrée du cerveau, les fibres issues du nerf optique se scindent en deux groupes. Une partie va au cerveau droit, l'autre au cerveau gauche. Même chose pour l'autre œil (Figure 1).

Le cerveau interprète alors le message reçu et fournit une image ordonnée de ce que perçoivent les deux yeux. La partie vue simultanément par les deux yeux est perçue en relief (vision binoculaire).

Œil gauche [Voies optiques normales du chat] Réception de la lumière par la rétine [Image réelle] Image réelle
Cerveau, côté gauche Transmission de l'information par le nerf optique [Image transmise] Image transmise
Traitement de l'image par le cerveau [Image traitée] Image traitée :
conforme à l'image réelle, en relief, détaillée
. 1 = rétine; 2 = nerf optique; 3 = chiasma optique; 4 = corps genouillé latéral ("cerveau primitif"); 5 = cortex occipital ("cerveau évolué") . [Regard normal] Regard normal

Figure 1 : Schéma du système optique du chat normal.

Particularités des voies optiques du "siamois"

Les voies optiques du "siamois" associent plusieurs anomalies des structures nerveuses. La principale anomalie concerne la proportion de fibres nerveuses qui passent d'un côté ou de l'autre du cerveau (Figure 2).

Un certain nombre de fibres de l'œil droit, sensées aller au cerveau droit, changent de coté et arrivent au cerveau gauche. Ainsi, le cerveau gauche reçoit des informations (dont il n'a que faire) destinées au cerveau droit. Par contre, ce même cerveau gauche attend toujours désespérément des informations en provenance de son œil gauche, parties vers le cerveau droit (qu'elles encombrent inutilement).

Résultat, chaque coté du cerveau réceptionne en vrac un patchwork d'informations en provenance des deux yeux en alternance avec des zones "vides"…(je schématise).

 

Œil gauche [Voies optiques du chat colourpoint] Réception de la lumière par la rétine [Image réelle] Image réelle
Cerveau, côté gauche Transmission de l'information par les voies optiques [Image transmise] Image transmise
Traitement de l'image par le cerveau [Image traitée] [Image traitée] Image traitée
. 1 = rétine; 2 = nerf optique; 3 = chiasma optique; 4 = corps genouillé latéral ("cerveau primitif"); 5 = cortex occipital ("cerveau évolué")

En rouge :
Anomalies de voies optiques

En bleu :
Modifications des circuits du cortex

. Bonne correction:
conforme à la réalité, zone de relief plus petite, moins de détails
Correction insuffisante:
+/- conforme à la réalité, peu de relief, moins de détails
.
Correction suffisante => regard normal Nécessité d'une 2éme correction => strabisme : amélioration du relief et des détails Regard
[Regard normal] [strabisme]

Figure 2 : Schéma des voies visuelles des colourpoints.

 

Conséquences sur la vision du "siamois"

Les informations telles qu'elles arrivent au cerveau du "siamois" sont aberrantes. Si le chat devait voir ces images telles qu'elles parviennent dans le cerveau primitif, il verrait une espèce de mosaïque ! Il doit donc corriger ce "bug" dans une partie plus élaborée de son cerveau, le cortex (Figure 2). Le cerveau du chat "jongle" pour combler les blancs (les informations jamais arrivées à destination) et corriger les inversions (les informations arrivées du mauvais coté).

Chez les "siamois" qui ne louchent pas, ces corrections permettent d'effacer la perception en mosaïque et autorisent une vision correcte. Malgré tout, leur vision reste différente de celle du chat "non-colourpoint". Leur vision binoculaire (perception du relief) reste diminuée par rapport aux chats "normaux", leur acuité visuelle (perception des détails) est moindre et leur champ visuel altéré.

 

Conséquences esthétiques

Lorsque la correction apportée par le cerveau n'est pas suffisante, le "siamois" doit " bidouiller" en modifiant la position de ses yeux (Figure 2).

Le strabisme a, en quelque sorte, pour but de restaurer au mieux la vision, en particulier la vision binoculaire. Le chat modifie l'orientation de ses yeux pour essayer de compenser les anomalies de ses voies optiques. Il est impossible par contre de dire s'il y parvient complètement.

Cette fonction de correction pourrait expliquer qu'un strabisme ne soit pas toujours permanent. Qu'il s'accentue quand le chat est particulièrement en éveil, "se concentre pour mieux voir", lorsqu'il est fatigué ou stressé (type chat en exposition). Ces circonstances extrêmes ne font donc que révéler l'anomalie, bien corrigée par le cerveau dans les circonstances normales.

 

Une origine génétique de l'anomalie

Le développement anormal des voies visuelles chez le "siamois" semble du à un effet direct de l'allèle colourpoint ="cs".

En effet, chez l'embryon, la croissance des neurones de la rétine vers le cerveau dépend de la présence d'un pigment (la mélanine) dans la rétine. Or, le "siamois", en tant qu'albinos partiel, est déficient en pigment rétinien. Ce déficit pigmentaire entraîne ainsi une mauvaise connexion des neurones et l'anomalie des voies visuelles.

Par conséquent :

  • Les malformations anatomiques des voies visuelles se retrouvent, à des degrés divers, chez tous les "siamois", qu'ils louchent ou non.
  • Ces anomalies ne sont pas spécifiques de la race Siamoise. Elles concernent plus généralement les chats à robe colourpoint (allèle "cs") et, accessoirement, les rares albinos (allèle "c").
  • Il est intéressant de noter que des anomalies analogues des voies optiques se retrouvent chez les albinos de différentes espèces, du furet au tigre, en passant par l'homme.

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Conséquences pour l'éleveur

  • Le strabisme est une anomalie héréditaire (puisque liée à l'allèle "cs") et congénital, même s'il n'est pas visible à la naissance, puisque les malformations des voies optiques qui en sont responsables sont présentes à la naissance.
  • Le strabisme ne devient patent que tardivement. En effet, la maturation du système nerveux est longue chez les petits carnivores. Une fois les yeux ouverts, le petit siamois présente souvent une période de strabisme divergent, comme la majorité des chatons. Puis les yeux se mettent en position normale. C'est souvent vers 3 mois que le strabisme convergent tant redouté apparaît, en réponse aux tentatives du cerveau de recréer une vision la moins mauvaise possible. Ce strabisme se stabilise généralement vers 5 mois. Néanmoins, l'apparition du strabisme est parfois tardive. Il peut donc arriver de vendre, de bonne foi, un chaton de 2-3 mois qui s'avérera loucheur ultérieurement.
  • Les malformations anatomiques des voies visuelles se retrouvent chez tous les "siamois", qu'ils louchent ou non, mais à des degrés extrêmement variables. La présence ou l'absence de strabisme dépend de l'intensité des malformations et de leur site précis au niveau de la rétine. Par conséquent, si une sélection bien menée permet de limiter fortement l'apparition de chatons loucheurs, il est certainement illusoire d'espérer faire disparaître cette tare sans faire disparaître les colourpoints.
  • Le strabisme semble n'être qu'un moyen pour le chat d'améliorer sa vision lorsque la correction effectuée au niveau cérébral n'est pas ou n'est plus suffisante. Il dépend donc de l'importance des lésions anatomiques (strabisme permanent ou non, plus ou moins marqué), du stade de développement neurologique (âge du chat), des circonstances extérieures (nécessité pour le chat d'optimiser momentanément sa vision), de l'état de l'œil lui même, etc.
  • Les traitements chirurgicaux se révèlent inutiles. En effet, ils agissent sur les muscles (normaux) qui mobilisent l'œil et non sur les voies nerveuses anormales. La correction obtenue après intervention est donc de courte durée. Au bout d'un certain temps, le chat se remet à loucher, ce qui lui permet d'utiliser au mieux les connexions nerveuses dont il dispose…

 

Références :

Guillery (1974), Leventhal (1985), Kliot (1985), Shatz (1977), Olivers & Lorenz (1983), Schmidt-Morand (1992).

 

[Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur]