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Véronique DUBOS (F)

Décembre 1997, Mise en ligne 05 septembre 2004

Liens vérifiés le 18 mars 2007

Surdité du chat blanc

[Oriental bleu silver ticked tabby, Gillon Amal van Celeborn]

Surdité du chat blanc

Il se dit tout et son contraire sur l'audition des chats blancs. Il faut convenir que ce problème n’a pas réellement été étudié dans l’optique de l’élevage. En effet, si quelques chercheurs se sont intéressés à la surdité du chat blanc, c’est en tant que modèle pour l’étude d’une maladie humaine relativement proche associant dépigmentation cutanée, dépigmentation oculaire et surdité. Ces travaux sont anciens (1965 à 1984) mais il s’agit des seules données réellement scientifiques et surtout objectives existant sur ce problème. J’ai essayé d’en faire un résumé et d’en tirer ce qui peut être intéressant du point de vue de l’élevage, à savoir :

  • Vérifier si certaines idées qui circulent sur la relation couleur des yeux / présence de tache colorée / longueur de poil / surdité sont fondées ou non.
  • Essayer de comprendre ce qui se passe ou du moins repérer les facteurs de risques afin d’organiser la reproduction de manière à diminuer la fréquence d’apparition de chatons sourds.
  1. Quelle est la nature du problème ?
  2. Quelles relations entre le phénotype et la surdité ?
  3. Quels sont les facteurs de risque d'apparition d'un chaton sourd ?
  4. Quel est le mode de transmission de la surdité ?
  5. Quelle conduite avoir pour éviter l'apparition de chatons sourds ?
  6. Liens complémentaires

I/ Quelle est la nature du problème ?

Une origine génétique

Il est démontré que l’allèle W, à l’origine de la couleur "blanc dominant", est directement responsable d’une dégénérescence de l’oreille interne, occasionnant la surdité. Le chaton naît normal mais vers l’âge d’une semaine, son oreille interne, au lieu de continuer à se développer subit des altérations progressives. La dégénérescence est généralement complète à trois semaines.

La surdité est liée à la couleur blanche (gène "W"). Schématiquement, on peut dire que tout chat blanc est génétiquement sourd ! Heureusement, "la nature est bien faite" et l'anomalie, bien que présente au niveau génétique, ne s'exprime pas systématiquement chez tous les chats. Ainsi, soit la tare reste cachée et l’oreille se développe normalement, soit la tare se manifeste et dans ce cas la dégénérescence est complète : le chat est sourd comme un pot pour l’oreille atteinte.
Sachant qu'un chat a deux oreilles et que l'anomalie n'affecte pas forcement les deux oreilles de la même manière, trois cas se présentent : la surdité est bilatérale, unilatérale... ou absente.

Les conséquences pour le chat

La surdité ne pose problème que lorsqu’elle est bilatérale. L’atteinte unilatérale quant à elle passe complètement inaperçu au simple examen du chat (elle peut par contre être dépistée par des examens spécialisés). Il y a bien sur compensation partielle du handicap, compensation d’autant plus facile que le chat vit en milieu protégé (chat d’intérieur). Le chat sourd est plus attentif aux autres signaux. Il réagit particulièrement aux vibrations transmises par le sol ou l’air. Il est très attentif aux réactions de ses congénères, réactions qui l’alertent d’un bruit insolite qu’il ne perçoit pas.
Il est ainsi parfois difficile de déterminer si un chaton est sourd ou simplement placide, s’il entend ou s’il se contente d’imiter ses frères et sœurs, s’il perçoit des sons ou juste des vibrations.

La communication entre chats passe davantage par les canaux olfactifs (odeurs, phéromones) et visuels (marques de griffes, attitudes corporelles, etc.) que par les canaux auditifs. Un chat sourd ne se débrouille donc pas trop mal dans ses rapports avec les autres chats, qu’il s’agisse de compagnons, d’adversaires ou de ses rejetons. Par contre, la communication homme - chat est en grande partie "verbale". Vivre avec un animal sourd implique donc que l’homme modifie radicalement ses habitudes de communication.

Même si la surdité ne semble pas vécue comme un drame par le chat, il faut admettre qu’elle constitue un réel handicap (au même titre qu’une patte en moins) et qu’il est de bon ton pour un éleveur de ne pas cultiver ce genre de particularité... Pour ne pas dire qu'il convient bien sûr de tout faire pour éviter d'obtenir des chatons sourds !

II/ Les relations surdité / phénotype

Les chiffres avancés ci-dessous correspondent aux résultats expérimentaux obtenus par trois équipes indépendantes de chercheurs, travaillant sur trois "familles" différentes de chats blancs. Ils n’ont pas la prétention de refléter ce qui se passe dans les différents élevages.
A ce propos, il serait intéressant de pouvoir actualiser et compléter ces données expérimentales par des données "terrain", si possible race par race.

1/ Surdité et couleur des yeux

[Mélodie, blanche aux yeux verts, non sourde]

Les chats blancs peuvent être sourds quelle que soit leur couleur d’yeux.

Cependant, statistiquement, les chats blancs aux yeux bleus sont 2 fois plus souvent sourds que leurs collègues aux yeux vairons, eux-mêmes 2 fois plus souvent atteints que leurs homologues aux yeux colorés.

 

[Pearl, blanche aux yeux bleus, non sourde]

Parmi les blancs complètement sourds, 65% ont les deux yeux bleus.

Dans 80% des cas une oreille sourde est associée à un oeil bleu.

 

[Rhapsodie, blanche aux yeux vairons, non sourde]

Enfin, chez les chats aux yeux vairons, la surdité lorsqu’elle est unilatérale semble plus fréquente du coté de l’oeil bleu.

Malgré tout, un tiers des blancs aux yeux bleus entendent parfaitement.

 

2/ Surdité et présence d’une tache colorée

[Roméo et Roxane, chatons non sourds, présence d'une tâche blanche ]

La présence d’une tache colorée sur la tête à la naissance est 4 fois plus fréquente chez les animaux non sourds, quelle que soit la couleur de leurs yeux.

Cependant un quart des chats blancs sourds naissent avec un spot sur la tête.

 

3/ Surdité et longueur du poil

[Blanc à  poil long]

Lorsque, au sein d’une même famille, les chats peuvent avoir le poil long ou court, 75% des sourds bilatéraux sont des animaux à poil long.

Les "poils courts" sont quatre fois moins souvent atteints que les "poils longs".

La surdité unilatérale est par contre équitablement répartie entre les deux groupes.

 

Bilan

Il existe bien des corrélations entre le phénotype (aspect extérieur) du chat et la surdité. Par contre, il n’existe pas de marqueur spécifique de la surdité.
Un chat à poil long ayant les deux yeux bleus et né sans tache a beaucoup plus de risques d’être sourd qu’un chat à poil court aux yeux colorés, né avec un spot.
Néanmoins, le premier peut très bien entendre parfaitement et le second être sourd comme un pot.
 
L’origine de cette association n’est pas claire. En effet, sur le plan génétique : la longueur de poil est indépendante de la couleur, la couleur bleue des yeux semble contrôlée par un gène distinct de W, la présence d’un spot ne dépend pas uniquement de l'allèle "W".

III/ Les facteurs de risque d’apparition de la surdité ?

Le pourcentage d’animaux atteints de surdité varie en fonction de nombreuses caractéristiques génétiques du chaton et de ses parents.

Attention : Les chiffres et pourcentages annoncés sont toujours une moyenne de ceux de nos 3 équipes de chercheurs. Il ne s’agit pas de constantes absolues mais de valeurs variables, indicatives, à moduler selon les races et familles … Je ferme la parenthèse.

1/ Génotype "couleur" du chaton

Surdité et état homo ou hétérozygote pour l'allèle "W"

Parmi les chats blancs homozygotes (porteurs de 2 exemplaires de l'allèle "W"), une large majorité est sourde aux yeux bleus, même si quelques uns entendent très bien.
Parmi les chats blancs hétérozygotes (porteurs d’un seul exemplaire de "W"), seuls 11% sont sourds.
Les homozygotes expriment donc très régulièrement l’anomalie alors que les hétérozygotes n’en souffrent que plus rarement.

Surdité et autres gènes de la coloration

Des rumeurs circulent parmi les éleveurs concernant l’incidence des gènes roux et colourpoint sur l’apparition de la surdité (gènes présents dans le génotype mais masqués par "W"). A ma connaissance, aucune étude scientifique n’a été validée...

Le fait que les Siamois blancs (ou Orientaux blancs aux yeux bleus) soient rarement sourds n’est pas forcement à mettre en relation avec le gène colourpoint :

  • la couleur d’yeux, déterminée dans ce cas par l’allèle "cs", n’a rien à voir avec le bleu associé à l’allèle "W".
  • ce chat ne fait pas partie des chats à risque : poil court, généralement hétérozygote pour "W".
  • il est possible que la race ait un bon "bruit de fond génétique".

L'incidence moindre de la surdité dans certaines familles porteuses de roux peut parfaitement n'être qu'un "effet lignée", sans relation avec le gène roux. Une telle lignée est très intéressante à travailler, mais affirmer que le gène roux protége de la surdité, c'est beaucoup s'avancer.

2/ Génotype et phénotype des parents

La couleur des parents

40% des chatons blancs issus de l’accouplement de deux chats blancs sont totalement sourds alors que seuls 10% de chatons blancs issus d’un chat blanc et d’un chat coloré sont sourds. Le mariage blanc x blanc augmente nettement le risque d'obtenir des chatons sourds, probablement en raison de la présence de chatons homozygotes pour "W". Cependant, le mariage blanc x coloré ne met pas totalement à l’abri de la surdité.

La couleur des yeux des parents

La proportion de descendants sourds est d’autant plus élevée que les parents totalisent à eux deux un plus grand nombre d’yeux bleus.
Pour être plus clair, un chaton issu de deux parents ayant tous les deux les deux yeux bleus a 5 fois plus de chance d'être sourd qu'un chaton issus de parents ayant tous les deux les 2 yeux colorés. Malgré tout, deux parents aux yeux colorés produisent quand même 10% de chatons sourds.

L’audition des parents

Il ne semble pas y avoir de relation proportionnelle entre le statut auditif des parents et celui de leurs chatons. Deux chats blancs sourds peuvent donner des chatons blancs à l’audition impeccable et deux chats qui entendent parfaitement peuvent donner des chatons blancs sourds. Pire, quelques soient les "mariages" effectués (sourd x sourd, sourd x normal, normal x normal), la proportion de chatons sourds est sensiblement la même. De l’ordre de 20% lorsqu’un seul parent est blanc (qu'il soit sourd ou non), plutôt 30 voire 40% lorsque les deux parents sont blancs (qu'ils soient sourds ou non). Nous voilà bien...

Cela confirme que la surdité est liée à la présence de " W" (en 1 ou 2 exemplaires) et non pas à l’action d’un autre gène. Cela signifie aussi, que retirer les géniteurs sourds de la reproduction ne suffit pas pour éliminer la surdité chez les chats blancs.

Le patrimoine génétique individuel des parents

Le pourcentage de chats sourds parmi les blancs varie selon les "familles" de chats. S'il y a en moyenne 20% de chats atteints (surdité uni ou bilatérale) parmi les chats blancs, ce pourcentage est beaucoup plus élevé dans la descendance de certains chats ou dans certaines lignées (jusqu'à 75% de sourds !). Il existe donc vraisemblablement des gènes indépendants de " W" capables d’en modifier l’action, une sorte de "bruit de fond génétique".

Bilan

Deux facteurs de risque se détachent :
le statut homozygote du chaton (facteur individuel) et le "bruit de fond génétique" (facteur lié à la race et à la lignée).

IV/ Quel mode de transmission pour la surdité du chat blanc ?

La transmission de l’anomalie ne s’effectue pas selon un déterminisme simple.

Tare "dominante à pénétrance incomplète"

Le même allèle " W" est responsable de la dépigmentation de la fourrure et de la dégénérescence de l’oreille interne : génétiquement, tous les chats blancs seraient sourds... Néanmoins, si la présence de W entraîne systématiquement l’apparition de la couleur blanche, l’atteinte auditive ne se manifeste, à des degrés variables (surdité uni ou bilatérale), que chez 20-25% des animaux.

On ne sait pas précisément quels facteurs modifient ainsi l’expression du gène.

  • Il est possible qu'un facteur environnemental joue un rôle dans le déclenchement et la sévérité du processus (atteinte uni ou bilatérale) sur un animal génétiquement prédisposé...
  • Il semble exister des facteurs génétiques capables d’atténuer les effets de "W" et de protéger de la surdité.

Facteurs modulant l’apparition de la surdité

Les principaux facteurs de risque sont apparemment :

  • Le statut homo ou hétérozygote, qui multiplie grosso modo le risque de surdité par 4.
  • Le "bruit de fond génétique" qui explique probablement une partie des différences constatées entre les races et, au sein d'une race, entre les lignées : l’environnement génétique est susceptible de limiter l’apparition de la dégénérescence de l’oreille interne.

V/ Quelle conduite tenir ?

On ne sait pas trop pourquoi ni comment un chaton devient sourd et aucun éleveur ne peut prétendre être à l'abri d'un "accident". Néanmoins, il est possible de diminuer nettement l’incidence de la tare par des précautions simples.

  • Être conscient qu’il ne suffit pas de retirer de la reproduction les chats sourds pour éliminer la tare ... Ce serait trop simple !
  • éviter l’homozygotie : éviter les mariages blanc x blanc, mariages à risque.
    Néanmoins, le mariage blanc x coloré ne met pas totalement à l’abri de l’apparition de chatons sourds. Certains pays interdisent les mariages blancs x blancs. Même appliquée, cette démarche autoritaire est incapable d'empêcher l'apparition de chatons sourds !
  • Compte tenu des différences entre lignées, il serait bon de retirer de la reproduction un animal (mâle ou femelle) qui donne un % élevé de chatons sourds, d’autant que les sourds unilatéraux ne sont quasiment jamais dépistés (à moins de faire des examens spécialisés). On peut ainsi espérer favoriser les bonnes combinaisons génétiques et limiter les mauvaises. Cette démarche de fond, à priori plus logique qu'une interdiction, suppose de rechercher la présence de la surdité et de tenir honnêtement les comptes des chats sourds. En clair, honnêteté intellectuelle des éleveurs et concertation au sein de la race : tout un programme…Pourquoi pas celui d’un club de race d’ailleurs !

Conclusion

Les anomalies génétiques sont souvent complexes. Certaines sont liées à une caractéristique intrinsèque d’une race (Scottish, Manx...) ou à une couleur (blanc dominant, colourpoint...). L’opinion publique a alors vite fait d’associer abusivement un phénotype (une apparence extérieure) à une tare.

Les éleveurs de chats à risque (ou supposés tels) ont intérêt à se prendre en main et à réagir intelligemment d’eux-mêmes aux problèmes qui peuvent concerner leur race. Sinon, le législateur va le faire à leur place avec toute la délicatesse qui le caractérise. C’est déjà le cas dans certains pays frontaliers.

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[Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur]

 

En savoir davantage ?

Ressources

Web francophone

Site Dalmatien Club Français (en français)

Faculté de médecine (en français)

Faculté de médecine de Montpellier (en français)

  • Plasticité fonctionnelle des systèmes sensoriels Pb de lien mars 07 - voir archives

Web non-francophone

Site Werkgroep Foreign White (en anglais)

Messybeast (en anglais)

Tufts - Canine and feline breeding and genetics conference 2003 (en anglais)

Louisiana State University (en anglais)

Bibliographie

Références :

  • Delack J.B. : Hereditary deafness in the white cat. The Compendium on Continuing Education. 1984. (6 ; 9)
  • Rebillard M. : Variability of the hereditary deafness in the white cat. Hearing research. 1981. (5)
  • Mair I.W.S. : Hereditary deafness in the white cat. Acta oto-laryngologica. 1973. (314)
  • Bergsma D.R., Brown K.S. : White fur, blue eyes, and deafness in the domestic cat. Journal of Heredity. 1971. (62 ;3)
  • Bosher S.K., Hallpike S. : Observations on the histological features, development and pathogenesis of the inner ear degeneration of the deaf white cat. Proc Royal Society of London. 1965. (162 ; serie B)
  • Robinson (1991)
  • Pederson (1991)