Véronique DUBOS

1ere version 1995, mises à jour, mise en ligne 01 mai 2007

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La vie en collectivité

[Sieste en commun, priére de ne pas se lever]

Le chat et la vie en collectivité

Le chat est un des rares animaux domestiques qui n'ait pas, à l'état sauvage, une réelle vie de groupe avec une organisation sociale digne de ce nom. A l'origine, le chat sauvage est un animal solitaire pour lequel la cellule familiale est la seule structure collective. Son répertoire comportemental ne comprend qu'un minimum des éléments qui permettent dans les autres espèces des interactions complexes entre individus : le chat n'a manifestement pas été programmé pour être un animal social.

[Rencontre : tentative d'intimidation avant éventuelle bagarre]

Vie en collectivité : les groupes de chats dans la nature

Les embryons de sociétés observés à l'état soit disant naturel constituent apparemment plus une réponse adaptative à une situation de contrainte (créée généralement par l'homme) qu'un choix délibéré de la part des chats. D'ailleurs, ces collectivités "sauvages" sont généralement présentes dans les centres urbains et leurs annexes, et correspondent à l'association surpopulation - présence d'une source de nourriture.

L'organisation de meute des chiens est profondément ancrée dans l'esprit (entre guillemet !) de chaque chien et quelques soient ses conditions de vie, un chien va essayer de reconstruire cette structure de meute. Ce schéma n'existe pas chez le chat : les rapports qu'il établit avec ses congénères ne semblent pas suivre aussi strictement un schéma pré-établi. Certains rapports entre adultes s'établissent sur la base de la relation mère / jeunes et ne font que prolonger des liens qui existent chez l'animal sauvage. D'autres rapports se basent sur des affinités, parfois très fortes, mais qui ne présentent pas le caractère d'absolue nécessité qu'elles revêtent chez les animaux sociaux. Finalement, l'établissement des relations entre chats est de nature individuelle avant tout. Par conséquent, la vie en collectivité telle qu'elle est conçue par l'homme dans les refuges, les élevages ou chez des "particuliers collectionneurs" ne correspond pas du tout à la nature du chat et n'est pas toujours bien supportée.

 

[Comportement étrange face à l'appareil photo]

Vie en collectivité : conséquences comportementales

Tous les comportements peuvent être altérés

Les premières manifestations du malaise créé par la vie en collectivité sont souvent d'ordre comportemental : changement de caractère, manifestations d'agressivité, repli de l'animal sur lui-même. Qui n'a jamais noté de modification de comportement après l'introduction d'un nouveau chat ? Qui n'a jamais remarqué un changement de caractère parfois spectaculaire chez les chats vendus à des particuliers ? Par exemple un chat ou un chaton complètement éteint, sans caractère, qui semble renaître lorsqu'il se retrouve seul ou dans un foyer comportant peu de chats. Ne dirait-on pas que la disparition des stimulis anxiogènes permet au chat (anxieux !) de retrouver un comportement normal ?

On peut également noter altérations des comportements dits fragiles, avec des modifications du comportement de toilettage, du comportement alimentaire, du comportement éliminatoire.

La manifestation d'intolérance à la vie en collectivité la plus facile à observer est certainement l'accroissement des comportements de marquage, notamment par arrosage. Même le propriétaire le moins observateur aura remarqué l'exacerbation du comportement de marquage urinaire ! Ce n'est pas sans raisons que, pour le commun des mortels (mais bizarrement, pas pour les personnes concernées), surpopulation féline rime avec nuisances olfactives. Même parmi les populations de chats castrés, les problèmes de marquage urinaire augmentent de manière exponentielle avec le nombre de chats. Ainsi, nombreux sont les amateurs de chats qui augmentent progressivement leur cheptel, apparemment sans problème, et qui, du jour au lendemain, se retrouvent à la tête d'un groupe de pisseurs, simplement parce qu'ils ont ramené un chaton supplémentaire : sans s'en rendre compte, ils ont dépassé un seuil et perturbé l'équilibre social.

Dans les effectifs de chats reproducteurs peuvent apparaître des troubles du comportement sexuel au sens large : certaines chattes n'expriment pas de chaleurs, semblent infertiles ou encore n'élèvent pas correctement leurs chatons simplement parce qu'elles ne s'adaptent pas au mode de vie qui leur est proposé. Des matous refusent de saillir ou présentent un comportement sexuel aberrant, etc.

La présence d'une de ces anomalies est généralement un bon indicateur d'une densité de population excessive, ou du moins ressentie comme excessive par certains chats et génératrice d’anxiété (entre autre). En effet, c'est le chat et non son propriétaire qui décide s'il y a ou non surpopulation.

[L'espace chez le chat se conçoit aussi en hauteur]

Pourquoi ?

L'acceptation des interactions entre individus n'est pas génétiquement programmé au niveau de l'espèce mais assumée à titre individuel (pour schématiser). En conséquence, tous les chats ne sont pas égaux face à la vie en collectivité et tous n'ont pas la même définition de la surpopulation.

  • Certains sont très tolérants, d'autres très sensibles. Pour certains chats, la présence d'un congénère est à la limite du supportable et se voir imposer deux collègues devient franchement inacceptable.
  • D'autres chats au contraire préfèrent manifestement la vie de couple ou de famille à la vie en solitaire, et recherchent la présence d'un autre chat (du moins, dans les conditions de vie qui sont les leurs), certains d’ailleurs, habitués à vivre à deux, se sentent perdus lorsque leur compagnon disparaît. Par contre, la vie en collectivité est plus souvent subie que recherchée.

Divers facteurs participent à l'apparition plus ou moins précoce des manifestations d'intolérance, ce qui ne facilite pas notre compréhension de la notion de collectivité et de surpopulation.

  • La socialisation des chatons et leur éducation est susceptible de favoriser la création de liens "sociaux".
  • La taille des locaux, leur agencement et leur plus ou moins bonne adaptation aux exigences félines jouent un rôle important dans la sensation de bien être du chat.
  • Il semble exister des facteurs de variation génétiques : certaines races semblent moins souffrir de la promiscuité que d'autres ...  La sélection effectuée par les éleveurs y est certainement pour quelque chose. Il faut convenir qu’un animal impropre à la vie en élevage a de bonnes chances d’être sorti du système au profit de chats plus "souples". Cette "sélection naturelle" en élevage tend donc à favoriser les animaux les plus adaptés à la vie en groupe.
  • Enfin, toute modification de l'environnement matériel, humain ou félin est susceptible de rompre l'équilibre social généralement instable. Quoiqu'il en soit, il est impossible de donner un chiffre quand à la taille à ne pas dépasser dans un effectif.

 

[C'est la crise du logement]

Vie en collectivité : pathologie de groupe

Dans les effectifs modestes, les problèmes de santé ne sont pas plus sévères que dans les foyers ne possédant qu'un chat. Il n'en est pas de même dans un effectif où est ressenti un réel degré de surpopulation. Ainsi on constate que les chats obligés de vivre en groupe sont plus sensibles aux maladies infectieuses, aux troubles de la reproduction et aux troubles comportementaux, et que la morbidité est particulièrement élevée chez les chatons. En clair, la tension créée par une vie en collectivité mal adaptée se traduit généralement dans un premier temps par des troubles comportementaux puis, le cas échéant, par des manifestations d'ordre franchement pathologique.

Les mécanismes permettant d'aboutir à cette situation sont nombreux :

Surpopulation, conséquences sur l'animal
[Surpopulation, conséquences sur l'animal]
[C'est dur la vie dans ces conditions ...]

La surpopulation fait subir un stress bien réel aux chats

Toute pression "psychologique" ou physiologique est susceptible d'induire une réaction de stress lorsqu'elle dépasse les capacités d'adaptation de l'animal. Une vie en collectivité perçue par le chat comme excessive correspond parfaitement à la définition d'un facteur de stress.

Le niveau de stress est parfois difficile à objectiver par le simple examen des chats qui peuvent paraître placides et satisfaits de leur sort (l’anxiété chez le chat se traduit volontiers par : gros chat mou et peu réactif). Néanmoins, des modifications physiologiques, hématologiques, biochimiques et endocrines associées au stress peuvent être identifiées par des analyses de laboratoire.

De nombreuses études, tant chez l'homme que chez l'animal, ont démontré les effets néfastes du stress sur la santé :

1/ Effet immunodépresseur réel, même s'il n'est pas forcement majeur.

En diminuant les défenses de l'organisme, le stress diminue la résistance du chat et augmente sa réceptivité aux germes. Cela entraîne en particulier une forte prévalence des affections chroniques au niveau respiratoire, conjonctival et digestif.

D'autre part, cette immunodépression favorise l'excrétion de pathogènes "latents" ou du moins jugulés jusque là par le système immunitaire (herpes, coronavirus, virus et parasites divers et variés). Or, ces agents pathogènes "latents" sont particulièrement adaptés aux animaux à mode de vie solitaire comme le chat. Pour caricaturer, le pauvre germe doit pouvoir survivre sur son chat en attendant de pouvoir sauter sur un autre à l’occasion d’une rencontre entre les deux animaux, rencontre qui se produit essentiellement à la saison des amours, les félins faisant tout pour s’éviter en temps normal. Et deux mois après que la chatte ait été contaminée, le germe profite du groupe "mère +/- immunodéprimée" - "petits pas encore immunocompétents" pour sauter sur les chatons et faire d’une pierre deux coups (c’est très schématique, je sais !). Un germe classique, lui, aurait difficilement survécu durant les longues périodes séparant deux contacts entre chats.

La conjonction de ces deux phénomènes entraîne la résurgence de pathologies diverses et variées.

L'accroissement des relations amicales (léchage) ou agressives (griffures, morsures) au sein d'un groupe augmente les possibilités de contamination, ce qui n'arrange rien.

2/ Effet sur l'expression des performances zootechniques, responsable à des degrés divers de troubles de la croissance, de la reproduction, etc.
Stress, conséquences sur l'animal
[Stress, conséquences sur l'animal]

 

3/ Effet sur l'apparition de maladies non infectieuses équivalentes de "l'ulcère de l'estomac"

Souvent diarrhées et vomissements de stress chez les carnivores. ("Maladies somatiques")

 

La surpopulation entraîne une augmentation passive du microbisme

Chaque chat dissémine gaiement ses germes dans l'environnement. C'est de bonne guerre, tout le monde en fait autant. Ce faisant, il augmente la charge bactérienne, virale et parasitaire du milieu dans lequel il vit, lui et ses congénères, et facilite la contamination des autres chats. Les germes en question sont généralement des germes banals mais l'augmentation de leur nombre au niveau des chats et du milieu peut devenir préoccupante. Ne parlons pas du cas où le chat est porteur d'un germe très pathogène.

[La vie à deux, c'est souvent trés agréable]

La surpopulation favorise la circulation des agents infectieux et entraîne une augmentation active du microbisme

Lorsque deux chats vivent ensemble dans un milieu "propre", ils s’échangent leurs germes bien entendu mais :

  • Chaque chat ne peut en contaminer qu’un autre
  • Si le milieu est propre (et c’est facile lorsqu’il n’y a que deux chats !), la charge reste modérée, si l’environnement satisfait aux exigences minimales du félin moyen (et c’est souvent le cas avec deux chats pourris gâtés) les chats (sauf cas d’un agent infectieux très virulent) se défendent bien. Le plus souvent, soit il s’établit un équilibre entre l’agent pathogène et son hôte, soit l’agent pathogène est laborieusement éliminé. Finalement, les deux chats n’expriment pas de symptômes.

Lorsque 4 chats vivent ensemble (et 4, ce n’est pas encore beaucoup) :

  • Chaque chat échange ses germes avec les 3 autres : il contamine ses 3 copains et reçoit une dose de chacun de ses 3 colocataires (ça commence à faire)
  • S’il élimine son germe, il est peu probable que les 3 autres aient fait de même au même moment et donc il se fait re-contaminer, bref, l’agent pathogène s’en donne à c½ur joie et il est très difficile de rompre le cercle vicieux. Le risque de voir apparaître des signes cliniques devient élevé.
  • Je passe pudiquement sur le fait qu’il est plus difficile de maintenir un milieu propre et conforme aux exigences éthologiques du chat lorsqu’on est en présence de plusieurs chats.
[Chatons avec leur mère, normal, avec d'autres adultes : danger potentiel]

La vie en collectivité met en contact des animaux sensibles et des animaux excréteurs d'agents pathogènes

L'exemple le plus démonstratif est celui des chatons élevés au milieu d'un effectif de chats adultes.

Les jeunes sont particulièrement réceptifs à tous les agents pathogènes. Ils sont plus ou moins protégés dans un premier temps par les anticorps d'origine colostrale mais le taux d'immunoglobulines baisse rapidement et arrive un moment où la protection d'origine maternelle n'est plus efficace. Le chaton élevé avec des adultes va devoir affronter une forte pression infectieuse et subir la présence de germes très virulents (calicivirus, herpes, coronavirus, chlamydies, etc.) à un moment où il est particulièrement vulnérable. En effet, il ne bénéficie plus de la réaction immunitaire de sa mère mais sa propre réaction immunitaire n'est pas encore suffisamment forte. Le problème est accru du fait que le stress tend à favoriser la recrudescence de l'excrétion de germes "latents" présents chez les adultes.

A leur tour, les chatons malades excrètent de grandes quantités du germe qui les a infecté, augmentant la charge infectieuse et donc le risque pour les autres chats, y compris les adultes.

 

Conditions d'élevage, conséquences sur l'animal
[Conditions d'élevage, conséquences sur l'animal]

Que faire ?

Encore une fois, le moment à partir duquel les effets de ce scénario catastrophe se font sentir est fonction de facteurs individuels et des conditions d'élevage.

  • Certains chats subissent sans dommages apparents la vie de groupe, se reproduisent normalement et atteignent en bonne santé un âge canonique.
  • D'autres chats supportent très mal cet état de fait, ne s'adaptent pas à des conditions d'élevage standard et se révèlent incapables d'y exprimer pleinement leurs capacités. Ils peuvent présenter des troubles du comportement (que le propriétaire remarque plus ou moins ...), des troubles de la reproduction (ce qui chagrine beaucoup les éleveurs) ou être sujets à des problèmes de santé à répétition (ce qui coûte cher à l'éleveur ...).

 

Conditions d'élevage, conséquences sur l'animal
[Conditions d'élevage, conséquences sur l'animal]

 

Il est évidemment difficile de concevoir l'élevage sans un certain degré de vie en collectivité ! Toute action de sélection suppose à la base un certain effectif de chats et la tendance spontanée de l'éleveur est d'entretenir simultanément un certain nombre d'animaux.

Le chat, lui, en décide parfois autrement ...Pour lui, "peu de chats, ça va, trop de chats, bonjour les dégâts".

C'est donc à l'éleveur de s'adapter aux besoins spécifiques de l'espèce qu'il élève et de faire en sorte de limiter les risques en jouant sur les conditions d'élevage.

  • Taille et structure des groupes
    (à ce sujet, une pratique brocardée dans le rapport Coperci [ ...  répartir ses chiennes reproductrices dans des endroits différents ...] ne me semble pas obligatoirement répréhensible si on considère l'affixe et l'activité d'élevage comme un travail intellectuel de l'éleveur (le travail de sélection) et non comme une appellation géographique contrôlée. Tout dépend comment la chose est présentée aux acheteurs des chatons. Si l'objectif n'est pas uniquement de flatter l'ego de l'éleveur, cette conception de l'élevage a le mérite d'éviter l'élevage "en batterie" tout en permettant un travail de sélection à long terme sur des effectifs respectables.
  • Socialisation des chatons
  • Hygiène, hygiène, hygiène et tout ce qui en découle

 

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